Un roman d'Anne Boscher
Un maximum de personnes traversait la place, cœur de la ville par excellence. Plusieurs s’attardaient sur les bancs ou sur les rebords des bassins. Pieds nus, ils se rafraîchissaient. D’autres s’asseyaient à même le sol – des touristes, des habitants de la ville, et des groupes de jeunes. Lucie connaissait bien ces derniers. Il y avait ceux postés sous le porche du bâtiment moderne. Là, on y comptait aussi des vieux, aux mines ravagées et à la clairvoyance brouillée par l’alcool. Et les autres, posés aux pieds de la statue centrale, un glorieux général de trois mètres de haut, figure historique locale de renommée nationale qui avait donné son nom à la place. Ces jeunes se vautraient au pied du général sans se soucier de ses cendres déposées dans le caveau sous le socle. Lucie y avait fait des rencontres cosmopolites. Le temps d’un soir, elle y avait croisé avec Lisa des étrangers de passage, en route depuis leur pays pour une destination décidée au jour le jour. Des jeunes gens aux dreadlocks et à l’hygiène douteuse, avec un sac à dos pour tout bien personnel et leurs chiens pour seuls compagnons. Souvent, l’un d’eux faisait rythmer l’ensemble de la place au son chaud de son djembé. Des échauffements, des coups portés et des sorties de couteaux n’étaient pas rares. Un fourgon de police, stationné en permanence aux côtés du glacier, faisait partie du décor.
Toujours avec sa glace, méfiante, Lucie se préparait.
Pas question d’ouvrir la moindre brèche à qui que ce soit pour l’entraver ! Elle ne se laisserait pas faire. On ne la ferait pas quitter sa ville de force, et l’on ne viendrait pas troubler sa nouvelle vie où Erwan était devenu la personne la plus importante au monde depuis le partage de sa serviette. D’ailleurs, elle ne parlerait pas de lui. On pouvait toujours y aller pour lui tirer les vers du nez, elle ne se laisserait pas piéger !
Ainsi s’armait-elle avant d’entamer sa traversée.
L’heure tournait.
Lucie se mit en mouvement.
Elle longea le vaste palais de style néoclassique qui bordait toute la longueur du flanc gauche de la place. Son assurance se remarquait. Avant de rejoindre la terrasse, elle jeta un œil sur les trois angelots ailés aux mines joufflues et moqueuses, sculptés sur la façade de l’édifice. Machinalement, comme à chacun de ses passages, elle vérifiait qu’ils étaient toujours en place. Une présence rassurante. Martha les appelait « les petits putti ».
C’est à ses yeux que Marion la reconnut. Il avait fallu que l’adolescente parvienne jusqu’à sa table pour qu’elle se dise que cette grande fille qui traversait la place de bout en bout était Lucie. Avant d’arriver à sa hauteur, elle n’avait repéré qu’une coiffe qui surplombait la foule et s’en démarquait. Elle avait été happée par la couleur qui se dirigeait vers elle. Un embrasement, une teinte flamboyante qui redoublait de puissance sous l’effet des rayons du soleil. Un rouge au pigment pur !
Extrait du roman :
Le rouge